De Balsthal à Waldenburg, en passant par le Passwang
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English version here
Depuis quelque temps, la motivation me manque lorsqu’il s’agit de me lever de bonne heure le dimanche pour aller randonner seul. Je planifie mon itinéraire la veille, prépare mon sac à dos… mais quand le réveil sonne, il est difficile de résister au réflexe de l’éteindre, me retourner dans le lit et me rendormir. Alors, en ce premier dimanche de mai, je suis plutôt content de moi : non seulement j’arrive à me lever, c’est même avec une heure d’avance sur l’horaire prévu que je sors du lit à 6 heures 45. Vu la longueur de la randonnée planifiée, ce n’est pas une mauvaise chose.
Mon objectif du jour est une traversée du Passwang, dans le Jura soleurois, en partant de Balsthal et en finissant à Waldenburg dans le canton de Bâle-Campagne. Je prends le train juste après 8 heures pour un trajet relativement court. Le temps est nuageux et plutôt frisquet, mais après trois jours de pluie quasi continue (trois jours de congé, manque de chance…), je ne vais pas faire la fine bouche. Une jeune femme monte dans le train à Sursee et me demande s’il va à Lengnau. Près de Bienne. Je lui dis que non, elle devra changer à Olten. Non non, elle me répond, ce train va toujours à Lengnau sans que l’on ait besoin de changer. Je me demande, si elle est si sûre d’elle, pourquoi elle m’a posé la question… et je suis secrètement tout content lorsque, peu avant Olten, les CFF nous informent que c’est le terminus du train et que tous les voyageurs sont priés de descendre.
Je prends un second train jusqu’à Oensingen, situé à l’entrée d’une vallée bordée des deux côtés par d’imposantes falaises calcaires, puis un troisième jusqu’à Balsthal, un peu plus haut dans la vallée. Ce dernier trajet est très court – à peine cinq minutes pour parcourir la ligne dans toute sa longueur – et la vitesse du train est vraiment toute relative : un homme normalement constitué à vélo n’aurait probablement aucun mal à le rattraper. Le train est vide, et je ne peux pas m’empêcher de penser que partout ailleurs en Europe, les deux ou trois kilomètres de cette ligne secondaire auraient laissé leur place à un bus depuis longtemps. En gare de Balsthal, plusieurs locomotives et wagons historiques témoignent d’un passé plus glorieux.
Je traverse le village où, grâce aux hautes collines qui l’entourent de quasiment tous les côtés, il règne une ambiance d’isolement surprenante à si peu de kilomètres des villes du Plateau suisse. Au centre du village, une fanfare se prépare à jouer, entourée d’une bonne partie de la population du village, tous endimanchés pour l’occasion. Un autre groupe de personnes est agglutiné devant l’église : la présence de plusieurs adolescentes en tenue de première communion explique sans doute la foule et la fanfare. Alors que les cloches de l’église se mettent à sonner, je quitte le village par une ruelle résidentielle raide, qui fait bientôt place à une piste forestière, puis à un sentier. La vue commence à devenir intéressante, avec la vallée menant au Plateau vers le sud, bordée de collines boisées. Le soleil peine à percer mais, peut-être grâce à la pluie des derniers jours, le paysage est plein de couleur, les tons dominants étant le vert vif des arbres en tenue de printemps et le jaune des milliers de pissenlits qui tapissent les prairies.
Cette première montée vers le Sunnenberg est raide et me paraît très pénible. Ma condition physique semble s’être sérieusement détériorée depuis un an, au même rythme que ma motivation, le premier déclin étant sans doute la conséquence du second. A moins que ce ne soit le contraire. Il y a tout juste douze mois, je marchais sur le sentier côtier du Pembrokeshire, en forme comme je l’avais rarement été. Aujourd’hui est vraiment dur par contre, j’ai l’impression de ne pas avancer du tout. Le terrain est gras sous mes pieds : il ne faut que peu de pluie pour que les sentiers jurassiens deviennent boueux et la pierre calcaire glissante et traître.
Le sentier boueux quitte la forêt pour en suivre la lisière, toujours en montée raide. A droite, une vallée profonde et boisée redescend vers Balsthal alors qu’au-delà, un beau paysage de bocage dirige le regard vers les collines plus à l’est. En haut de cette montée, sous un arbre un peu détaché du reste de la forêt, un banc me permet de faire une courte pause panoramique et de manger une barre énergétique. En regardant la carte, je suis agréablement surpris de voir que j’ai fait quelque 400 mètres de montée en une heure : je ne suis peut-être pas très en forme, mais je n’ai pas encore complètement perdu mes capacités physiques.
Le sentier se poursuit maintenant vers l’ouest, descendant du Sunnenberg vers la vallée où se trouve la ferme et le restaurant champêtre de Bremgarten, à 903 mètres d’altitude. Le paysage de cette haute vallée est vraiment de toute beauté. Certes, ce n’est pas dramatique comme dans les Alpes, mais il y a largement de quoi compenser : le vert des arbres, les fleurs des champs, les haies et bosquets avec, en toile de fond, des crêtes couvertes de conifères de plus en plus sombres, s’éloignant vers des sommets plus élevées à l’horizon, vraisemblablement le massif du Weissenstein au-dessus de Soleure.
Je descends vers le fond de la vallée, maudissant le vent froid du nord et le fait que j’ai oublié d’amener des gants. Toujours dans le fond du sac à dos, jamais utilisées… jusqu’au jour ou je ne les prends pas. Il y a deux chats, très beaux et d’aspect très élégant et féminin, dans la cour de la ferme. L’un d’eux est de blanc avec des rayures de la couleur des plages galloises, l’autre est rayé gris clair et blanc et a une queue remarquablement longue. Ni l’un ni l’autre n’accepte ma proposition de les prendre en photo.
Je poursuis ma descente vers un fond de vallon plus encaissé, remonte de l’autre côté, redescends en forêt… il s’agit incontestablement d’une journée faite d’une alternance de montées et de descentes. Le sentier se perd dans un vaste pâturage de fleurs sauvages et d’herbes longues, qui feront sans aucun doute un immense plaisir aux premières vaches du printemps lorsqu’elles monteront à l’alpage.
Ayant gagné presque 500 mètres de dénivelée depuis Balsthal, je dois maintenant en perdre 300 pour atteindre le village de Ramiswil. Un sentier très boueux et glissant descend, tout d’abord en forêt, puis quitte le couvert des arbres pour une nouvelle vallée très belle, au fond de laquelle se trouve la ferme isolée de Schinboden, où il y a un chat qui ne parvient pas à la hauteur de ceux de Bremgarten en termes d’élégance. Ici, pour suivre le balisage, je suis obligé de rouler dans l’herbe longue et mouillée pour passer sous quelques clôtures. Vient ensuite une nouvelle descente en forêt, très raide cette fois-ci mais heureusement plus sèche et moins glissante que les précédentes. Quittant la forêt une fois de plus, je vois le sommet du jour pour la première fois : au-delà de la vallée, le Passwang est une longue crête boisée, au-dessus d’une ligne de falaises calcaires. Le versant que je devrai remonter a l’air tout aussi raide que celui que je suis en train de descendre !
Au fond de la vallée, je traverse la route juste à l’entrée du village de Ramiswil. Une affiche à côté de la route me propose une soirée disco organisée par “Welcome to Fabulous Hangover” : personnellement cela ne m’encouragerait pas à aller danser, mais j’aurais sans doute un avis différent si j’avais 18 and et habitais au fin fond du canton de Soleure. De l’autre côté du carrefour, un jardin expose un joli ensemble hétéroclite de personnages en plastique : nains, vaches, chevaux et même quelques pélicans.
J’attaque le versant nord de la vallée, qui est tout aussi raide qu’il en avait l’air. Je remonte une petite route, croisant une mère à cheval et sa fille à poney. La route est aménagée en chemin de croix, avec toute une série de crucifix en pierre qui finissent par mener à une jolie grotte à côté d’une petite cascade. L’endroit doit être relativement important sur le plan religieux, car en face de la grotte (dans laquelle se trouve l’inévitable Vierge), il y a sept ou huit bacs, tous alignés face au sanctuaire. Je poursuis par un escalier et par des pâturages très pentus, où un troupeau de vaches grises me regarde avec mépris. Elles ont tracé des sentes horizontales pour traverser le versant, et ne comprennent visiblement pas cet homme qui s’entête à remonter la pente dans le sens le plus raide. Pourquoi ne traverse-t-il pas simplement à l’horizontale jusqu’à ce qu’il trouve une bonne touffe d’herbe à grignoter ? Les nombreuses bouses de vaches ont été envahies par des mouches brun-oragne d’une espèce que je ne me souviens pas d’avoir vue auparavant.
Le grand parking du restaurant Alpenblick offre quelques mètres carrés de plat et me permet de souffler un peu. Un panneau interdit aux randonneurs d’y garer leur voiture le weekend, car « nous avons besoin de toute la place pour notre clientèle ». Le parking est immense et entièrement vide, ce qui laisse croire que non seulement les randonneurs ont suivi les instructions à la lettre, mais également les clients de l’auberge !
Après un autre passage très raide, j’atteins enfin le haut du versant et la grande prairie sous les falaises de la crête du Passwang. Pour la première fois de la journée, je commence à voir d’autres randonneurs… évidemment, car il y a ici un autre parking, celui-ci sans panneaux d’interdiction.
J’emprunte une piste qui contourne la crête vers le nord, jusqu’au point où la ligne de falaises s’interrompt. Me tournant à nouveau vers l’est, je prends un sentier qui remonte le long de la large crête herbeuse. Il est 13 heures et je marche depuis trois heures et demie, je décide alors de m’arrêter ici pour manger, car je crains que plus haut, le vent soit vraiment froid. Je trouve quelques mètres carrés d’herbe à peu près sèche et bien à l’abri du vent et m’y installe pour manger un sandwich salami-salade et un autre au jambon et à la moutarde. Le soleil, qui s’est monté très timide jusqu’à maintenant, se met à briller franchement, me permettant de faire une sieste courte mais très agréable avant de continuer.
J’ai bien fait de m’arrêter à cet endroit. Cinq minutes après être reparti, j’arrive sur la crête proprement dite, balayée par le vent du nord et vraiment froide. Une fois de plus, je regrette de ne pas avoir de gants. Les meilleures vues sont vers le nord, le panorama vers le sud étant caché par les arbres surplombant les falaises que j’ai vues depuis plus bas. Une grange isolée et bordée de deux arbres qui hibernent encore a l’air gelée et malheureuse. J’arrive à un carrefour de chemins où, bizarrement, le lieu-dit “Vogelberg” est indiqué dans deux directions diamétralement opposées. La carte confirme que tout est normal : il y a deux Vogelberg à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, mais l’un est bâlois et l’autre soleurois, séparés à vie par la haute crête qui se trouve entre deux.
Encore cinq minutes de marche et me voici au point culminant du Passwang, à 1204 mètres d’altitude. Le point le plus haut se trouve sur un ressaut calcaire qui surplombe la vallée, descendant à la verticale vers les pâturages loin dessous. A partir d’ici, la tendance générale est à la descente, même si la crête reste plus ou moins horizontale pendant un moment au début. C’est une crête jurassienne classique, du même style que celle de son cousin plus à l’ouest, le Chasseral. Etroite, pierreuse, descendant raide de part et d’autre, la crête offre de belles vues vers l’un des Vogelberg à gauche, et vers le village de Mümliswil à gauche, dans un creux entouré de collines boisées. Un panneau m’indique 2 heures 50 minutes de marche jusqu’à Waldenburg… cela m’étonne, car je suis déjà reparti depuis plus d’une heure après avoir mangé. Heureusement que j’aie réussi à démarrer tôt ce matin ! Dans la réalité, le temps indiqué est largement surestimé, car je mettrai moins de deux heures pour atteindre ma destination depuis ici.
Laissant de côté le sentier qui descend vers la télécabine à Wasserfallen, je continue le long de la crête, passant devant une petite chapelle et remontant un peu avant de quitter la forêt sous les pentes boisées du Chellenchöpfli. Au-dessus, vu de loin, un piton rocheux ressemble vraiment à une statue ; elle serait tout à fait à sa place si elle était perchée sur une colline au-dessus de Rio. Le sentier descend doucement vers Waldweid, à 1015 mètres d’altitude, où il y a tellement de pissenlits dans la prairie que le jaune est la couleur dominante.
La dernière descente de la journée est raide. Une piste forestière caillouteuse (pourquoi les pistes forestières en descente raide sont-elles toujours faites de cailloux roulants ?) descend à travers une suite de bosquets et de clairières, puis tourne une dernière fois vers l’est, le long du vallon qui mène à Waldenburg. En face, de l’autre côté de la vallée, la ruine de château fort qui donne sans doute son nom au village se dresse au-dessus de la forêt, gardant fièrement le passage de la vallée. Un adolescente remonte la pente et me croise, portant un VTT qui a l’air très lourd, souffrant visiblement. Je me demande jusqu’où il va comme ça : ce qui est certain, c’est qu’il va devoir couvrir une sacrée distance avant de trouver un peu de descente !
Waldenburg est un joli petit village, avec de belles maisons anciennes, une porte fortifiée et un ruisseau. Je suis surpris, n’ayant jamais entendu parler de l’endroit jusqu’à présent. Il y a plusieurs auberges et restaurants, dont un qui s’appelle « Gasthaus Stab ». Nom qui fait drôle pour un Anglophone, car le verbe « to stab » signifie poignarder… d’autant plus amusant quand je vois que l’auberge fait également office de boucherie du village ! Un autre hôtel proclame une « Fête de la bière le 8 septembre »… difficile de dire s’il s’agit d’un oubli de l’automne dernier, ou de l’annonce très en avance de festivités à venir dans quatre mois.
Encore cinq minutes de marche et me voilà à la gare, terminus d’un autre exemplaire des innombrables petits chemins de fer ruraux de la Suisse. Le petit train rouge est bien rempli de randonneurs et de familles de la ville, retournant chez eux après une journée en montagne ou chez leurs cousins de la campagne. Vu le monde qu’il y a, ce train semble être promis à un meilleur avenir que celui qui relie Oensingen à Balsthal. Au cours de mes seize années en Suisse, j’ai parcouru la plupart des itinéraires ferroviaires du pays, mais celui-ci est nouveau pour moi : un petit bonus au terme d’une journée qui a été très plaisante, avec des paysages d’une grande beauté et d’une belle diversité. Ce sont de telles journées qui devraient, sans trop de difficulté, me permettre de retrouver toute la motivation nécessaire pour me sortir du lit à six heures et demi le dimanche matin.
Depuis quelque temps, la motivation me manque lorsqu’il s’agit de me lever de bonne heure le dimanche pour aller randonner seul. Je planifie mon itinéraire la veille, prépare mon sac à dos… mais quand le réveil sonne, il est difficile de résister au réflexe de l’éteindre, me retourner dans le lit et me rendormir. Alors, en ce premier dimanche de mai, je suis plutôt content de moi : non seulement j’arrive à me lever, c’est même avec une heure d’avance sur l’horaire prévu que je sors du lit à 6 heures 45. Vu la longueur de la randonnée planifiée, ce n’est pas une mauvaise chose.
Mon objectif du jour est une traversée du Passwang, dans le Jura soleurois, en partant de Balsthal et en finissant à Waldenburg dans le canton de Bâle-Campagne. Je prends le train juste après 8 heures pour un trajet relativement court. Le temps est nuageux et plutôt frisquet, mais après trois jours de pluie quasi continue (trois jours de congé, manque de chance…), je ne vais pas faire la fine bouche. Une jeune femme monte dans le train à Sursee et me demande s’il va à Lengnau. Près de Bienne. Je lui dis que non, elle devra changer à Olten. Non non, elle me répond, ce train va toujours à Lengnau sans que l’on ait besoin de changer. Je me demande, si elle est si sûre d’elle, pourquoi elle m’a posé la question… et je suis secrètement tout content lorsque, peu avant Olten, les CFF nous informent que c’est le terminus du train et que tous les voyageurs sont priés de descendre.
Je prends un second train jusqu’à Oensingen, situé à l’entrée d’une vallée bordée des deux côtés par d’imposantes falaises calcaires, puis un troisième jusqu’à Balsthal, un peu plus haut dans la vallée. Ce dernier trajet est très court – à peine cinq minutes pour parcourir la ligne dans toute sa longueur – et la vitesse du train est vraiment toute relative : un homme normalement constitué à vélo n’aurait probablement aucun mal à le rattraper. Le train est vide, et je ne peux pas m’empêcher de penser que partout ailleurs en Europe, les deux ou trois kilomètres de cette ligne secondaire auraient laissé leur place à un bus depuis longtemps. En gare de Balsthal, plusieurs locomotives et wagons historiques témoignent d’un passé plus glorieux.
Je traverse le village où, grâce aux hautes collines qui l’entourent de quasiment tous les côtés, il règne une ambiance d’isolement surprenante à si peu de kilomètres des villes du Plateau suisse. Au centre du village, une fanfare se prépare à jouer, entourée d’une bonne partie de la population du village, tous endimanchés pour l’occasion. Un autre groupe de personnes est agglutiné devant l’église : la présence de plusieurs adolescentes en tenue de première communion explique sans doute la foule et la fanfare. Alors que les cloches de l’église se mettent à sonner, je quitte le village par une ruelle résidentielle raide, qui fait bientôt place à une piste forestière, puis à un sentier. La vue commence à devenir intéressante, avec la vallée menant au Plateau vers le sud, bordée de collines boisées. Le soleil peine à percer mais, peut-être grâce à la pluie des derniers jours, le paysage est plein de couleur, les tons dominants étant le vert vif des arbres en tenue de printemps et le jaune des milliers de pissenlits qui tapissent les prairies.
Cette première montée vers le Sunnenberg est raide et me paraît très pénible. Ma condition physique semble s’être sérieusement détériorée depuis un an, au même rythme que ma motivation, le premier déclin étant sans doute la conséquence du second. A moins que ce ne soit le contraire. Il y a tout juste douze mois, je marchais sur le sentier côtier du Pembrokeshire, en forme comme je l’avais rarement été. Aujourd’hui est vraiment dur par contre, j’ai l’impression de ne pas avancer du tout. Le terrain est gras sous mes pieds : il ne faut que peu de pluie pour que les sentiers jurassiens deviennent boueux et la pierre calcaire glissante et traître.
Le sentier boueux quitte la forêt pour en suivre la lisière, toujours en montée raide. A droite, une vallée profonde et boisée redescend vers Balsthal alors qu’au-delà, un beau paysage de bocage dirige le regard vers les collines plus à l’est. En haut de cette montée, sous un arbre un peu détaché du reste de la forêt, un banc me permet de faire une courte pause panoramique et de manger une barre énergétique. En regardant la carte, je suis agréablement surpris de voir que j’ai fait quelque 400 mètres de montée en une heure : je ne suis peut-être pas très en forme, mais je n’ai pas encore complètement perdu mes capacités physiques.
Le sentier se poursuit maintenant vers l’ouest, descendant du Sunnenberg vers la vallée où se trouve la ferme et le restaurant champêtre de Bremgarten, à 903 mètres d’altitude. Le paysage de cette haute vallée est vraiment de toute beauté. Certes, ce n’est pas dramatique comme dans les Alpes, mais il y a largement de quoi compenser : le vert des arbres, les fleurs des champs, les haies et bosquets avec, en toile de fond, des crêtes couvertes de conifères de plus en plus sombres, s’éloignant vers des sommets plus élevées à l’horizon, vraisemblablement le massif du Weissenstein au-dessus de Soleure.
Je descends vers le fond de la vallée, maudissant le vent froid du nord et le fait que j’ai oublié d’amener des gants. Toujours dans le fond du sac à dos, jamais utilisées… jusqu’au jour ou je ne les prends pas. Il y a deux chats, très beaux et d’aspect très élégant et féminin, dans la cour de la ferme. L’un d’eux est de blanc avec des rayures de la couleur des plages galloises, l’autre est rayé gris clair et blanc et a une queue remarquablement longue. Ni l’un ni l’autre n’accepte ma proposition de les prendre en photo.
Je poursuis ma descente vers un fond de vallon plus encaissé, remonte de l’autre côté, redescends en forêt… il s’agit incontestablement d’une journée faite d’une alternance de montées et de descentes. Le sentier se perd dans un vaste pâturage de fleurs sauvages et d’herbes longues, qui feront sans aucun doute un immense plaisir aux premières vaches du printemps lorsqu’elles monteront à l’alpage.
Ayant gagné presque 500 mètres de dénivelée depuis Balsthal, je dois maintenant en perdre 300 pour atteindre le village de Ramiswil. Un sentier très boueux et glissant descend, tout d’abord en forêt, puis quitte le couvert des arbres pour une nouvelle vallée très belle, au fond de laquelle se trouve la ferme isolée de Schinboden, où il y a un chat qui ne parvient pas à la hauteur de ceux de Bremgarten en termes d’élégance. Ici, pour suivre le balisage, je suis obligé de rouler dans l’herbe longue et mouillée pour passer sous quelques clôtures. Vient ensuite une nouvelle descente en forêt, très raide cette fois-ci mais heureusement plus sèche et moins glissante que les précédentes. Quittant la forêt une fois de plus, je vois le sommet du jour pour la première fois : au-delà de la vallée, le Passwang est une longue crête boisée, au-dessus d’une ligne de falaises calcaires. Le versant que je devrai remonter a l’air tout aussi raide que celui que je suis en train de descendre !
Au fond de la vallée, je traverse la route juste à l’entrée du village de Ramiswil. Une affiche à côté de la route me propose une soirée disco organisée par “Welcome to Fabulous Hangover” : personnellement cela ne m’encouragerait pas à aller danser, mais j’aurais sans doute un avis différent si j’avais 18 and et habitais au fin fond du canton de Soleure. De l’autre côté du carrefour, un jardin expose un joli ensemble hétéroclite de personnages en plastique : nains, vaches, chevaux et même quelques pélicans.
J’attaque le versant nord de la vallée, qui est tout aussi raide qu’il en avait l’air. Je remonte une petite route, croisant une mère à cheval et sa fille à poney. La route est aménagée en chemin de croix, avec toute une série de crucifix en pierre qui finissent par mener à une jolie grotte à côté d’une petite cascade. L’endroit doit être relativement important sur le plan religieux, car en face de la grotte (dans laquelle se trouve l’inévitable Vierge), il y a sept ou huit bacs, tous alignés face au sanctuaire. Je poursuis par un escalier et par des pâturages très pentus, où un troupeau de vaches grises me regarde avec mépris. Elles ont tracé des sentes horizontales pour traverser le versant, et ne comprennent visiblement pas cet homme qui s’entête à remonter la pente dans le sens le plus raide. Pourquoi ne traverse-t-il pas simplement à l’horizontale jusqu’à ce qu’il trouve une bonne touffe d’herbe à grignoter ? Les nombreuses bouses de vaches ont été envahies par des mouches brun-oragne d’une espèce que je ne me souviens pas d’avoir vue auparavant.
Le grand parking du restaurant Alpenblick offre quelques mètres carrés de plat et me permet de souffler un peu. Un panneau interdit aux randonneurs d’y garer leur voiture le weekend, car « nous avons besoin de toute la place pour notre clientèle ». Le parking est immense et entièrement vide, ce qui laisse croire que non seulement les randonneurs ont suivi les instructions à la lettre, mais également les clients de l’auberge !
Après un autre passage très raide, j’atteins enfin le haut du versant et la grande prairie sous les falaises de la crête du Passwang. Pour la première fois de la journée, je commence à voir d’autres randonneurs… évidemment, car il y a ici un autre parking, celui-ci sans panneaux d’interdiction.
J’emprunte une piste qui contourne la crête vers le nord, jusqu’au point où la ligne de falaises s’interrompt. Me tournant à nouveau vers l’est, je prends un sentier qui remonte le long de la large crête herbeuse. Il est 13 heures et je marche depuis trois heures et demie, je décide alors de m’arrêter ici pour manger, car je crains que plus haut, le vent soit vraiment froid. Je trouve quelques mètres carrés d’herbe à peu près sèche et bien à l’abri du vent et m’y installe pour manger un sandwich salami-salade et un autre au jambon et à la moutarde. Le soleil, qui s’est monté très timide jusqu’à maintenant, se met à briller franchement, me permettant de faire une sieste courte mais très agréable avant de continuer.
J’ai bien fait de m’arrêter à cet endroit. Cinq minutes après être reparti, j’arrive sur la crête proprement dite, balayée par le vent du nord et vraiment froide. Une fois de plus, je regrette de ne pas avoir de gants. Les meilleures vues sont vers le nord, le panorama vers le sud étant caché par les arbres surplombant les falaises que j’ai vues depuis plus bas. Une grange isolée et bordée de deux arbres qui hibernent encore a l’air gelée et malheureuse. J’arrive à un carrefour de chemins où, bizarrement, le lieu-dit “Vogelberg” est indiqué dans deux directions diamétralement opposées. La carte confirme que tout est normal : il y a deux Vogelberg à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, mais l’un est bâlois et l’autre soleurois, séparés à vie par la haute crête qui se trouve entre deux.
Encore cinq minutes de marche et me voici au point culminant du Passwang, à 1204 mètres d’altitude. Le point le plus haut se trouve sur un ressaut calcaire qui surplombe la vallée, descendant à la verticale vers les pâturages loin dessous. A partir d’ici, la tendance générale est à la descente, même si la crête reste plus ou moins horizontale pendant un moment au début. C’est une crête jurassienne classique, du même style que celle de son cousin plus à l’ouest, le Chasseral. Etroite, pierreuse, descendant raide de part et d’autre, la crête offre de belles vues vers l’un des Vogelberg à gauche, et vers le village de Mümliswil à gauche, dans un creux entouré de collines boisées. Un panneau m’indique 2 heures 50 minutes de marche jusqu’à Waldenburg… cela m’étonne, car je suis déjà reparti depuis plus d’une heure après avoir mangé. Heureusement que j’aie réussi à démarrer tôt ce matin ! Dans la réalité, le temps indiqué est largement surestimé, car je mettrai moins de deux heures pour atteindre ma destination depuis ici.
Laissant de côté le sentier qui descend vers la télécabine à Wasserfallen, je continue le long de la crête, passant devant une petite chapelle et remontant un peu avant de quitter la forêt sous les pentes boisées du Chellenchöpfli. Au-dessus, vu de loin, un piton rocheux ressemble vraiment à une statue ; elle serait tout à fait à sa place si elle était perchée sur une colline au-dessus de Rio. Le sentier descend doucement vers Waldweid, à 1015 mètres d’altitude, où il y a tellement de pissenlits dans la prairie que le jaune est la couleur dominante.
La dernière descente de la journée est raide. Une piste forestière caillouteuse (pourquoi les pistes forestières en descente raide sont-elles toujours faites de cailloux roulants ?) descend à travers une suite de bosquets et de clairières, puis tourne une dernière fois vers l’est, le long du vallon qui mène à Waldenburg. En face, de l’autre côté de la vallée, la ruine de château fort qui donne sans doute son nom au village se dresse au-dessus de la forêt, gardant fièrement le passage de la vallée. Un adolescente remonte la pente et me croise, portant un VTT qui a l’air très lourd, souffrant visiblement. Je me demande jusqu’où il va comme ça : ce qui est certain, c’est qu’il va devoir couvrir une sacrée distance avant de trouver un peu de descente !
Waldenburg est un joli petit village, avec de belles maisons anciennes, une porte fortifiée et un ruisseau. Je suis surpris, n’ayant jamais entendu parler de l’endroit jusqu’à présent. Il y a plusieurs auberges et restaurants, dont un qui s’appelle « Gasthaus Stab ». Nom qui fait drôle pour un Anglophone, car le verbe « to stab » signifie poignarder… d’autant plus amusant quand je vois que l’auberge fait également office de boucherie du village ! Un autre hôtel proclame une « Fête de la bière le 8 septembre »… difficile de dire s’il s’agit d’un oubli de l’automne dernier, ou de l’annonce très en avance de festivités à venir dans quatre mois.
Encore cinq minutes de marche et me voilà à la gare, terminus d’un autre exemplaire des innombrables petits chemins de fer ruraux de la Suisse. Le petit train rouge est bien rempli de randonneurs et de familles de la ville, retournant chez eux après une journée en montagne ou chez leurs cousins de la campagne. Vu le monde qu’il y a, ce train semble être promis à un meilleur avenir que celui qui relie Oensingen à Balsthal. Au cours de mes seize années en Suisse, j’ai parcouru la plupart des itinéraires ferroviaires du pays, mais celui-ci est nouveau pour moi : un petit bonus au terme d’une journée qui a été très plaisante, avec des paysages d’une grande beauté et d’une belle diversité. Ce sont de telles journées qui devraient, sans trop de difficulté, me permettre de retrouver toute la motivation nécessaire pour me sortir du lit à six heures et demi le dimanche matin.
Tourengänger:
stephen
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