Chemin des cols alpins : Étape 41, de Morgins à Torgon
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English version
Il y a des signes qui ne trompent pas. Au cours d’une randonnée de plusieurs jours, quand on commence à faire des choses pour la dernière fois, c’est que la fin est proche. Ce matin à Morgins, nous achetons à manger pour les trois derniers midis, ce soir ce seront les dernières lessives. Il y a deux magasins d'alimentation dans le village, dont un qui s'appelle Intermarché mais dont le logo et tout le branding sont totalement différents de la chaîne française bien connue. Nous ne saurons pas s’il a quelque chose à voir avec cette chaîne, car nous faisons nos courses dans l'autre magasin, une de ces superettes Volg que l'on trouve un peu partout dans les villages de montagne suisses.
Cette étape est plus courte que les précédentes, et nous ne sommes pas vraiment pressés. Le temps de terminer nos courses et de dire au revoir à Morgins sans trop de regrets, il est 8h30 et il fait déjà chaud. Comme les deux jours précédents, la pluie nocturne s'est éloignée, laissant derrière elle un ciel bleu sans nuage, bien que l’air semble moins limpide ce matin, peut-être le signe précurseur d'un changement de temps à venir. Les prévisions de Météosuisse le confirment d’ailleurs : demain, il y a de grandes chances que nous nous fassions mouiller.
La sortie de Morgins (1304 m) est très raide et se fait sur une route goudronnée pendant la première heure et quart, au cours de laquelle nous montons de presque 400 mètres. Nous avançons lentement, en nous écartant assez souvent pour laisser passer des voitures sur la route étroite. En contrebas nous voyons le village avec ses immeubles de vacances dans le style faux chalet, derrière lesquels une vallée boisée remonte jusqu'à la ligne de crête qui marque la frontière française. Sur notre droite, les Dents du Midi et leurs sept sommets sont encore là (si on en croit le nom de la brasserie artisanale locale 7 Peaks, bien que vu d’ici, il semble y avoir au moins huit sommets).
Morgins ne m’a pas plu et je ne suis pas de très bonne humeur ce matin. Le début fastidieux de l’étape n’arrange pas les choses : il fait trop chaud, c’est trop raide, la route est trop dure sous mes pieds, il n'y a pas d'ombre : pendant quelques instants, je veux juste que cela se termine. Heureusement qu'il ne reste que deux étapes après celle-ci, car j’ai l’impression d’avoir heurté un mur à la fois mental et physique au bout de 15 jours de marche. Enfin, à environ 1690 mètres d'altitude, nous pouvons quitter la route pour un vrai sentier qui monte plus doucement à travers des pâturages jusqu'aux Portes du Culet (1788 m), un carrefour de plusieurs sentiers et routes d’alpage. De là, nous descendons jusqu'à Chalet Neuf (1692 m), où il y a un restaurant, un parking et une aire de jeux pour enfants. Nous faisons ici la première pause de la journée, assis à l'ombre d'un arbre pour boire de l'eau et manger un mélange de fruits secs et d’amandes.
A Chalet Neuf, un choix s'impose. Sur ma carte, le chemin n° 6 continue vers le nord, plus ou moins à la même altitude puis en descente jusqu'à Torgon, en forêt sous le flanc est du petit massif formé par la Pointe des Ombrieux, la Tour de Don et la Tête du Tronchey. Mais ma carte date de 2019 et le chemin suit désormais un autre itinéraire, plus long et plus haut, montant jusqu’au sommet de la Tour de Don avant de redescendre à Torgon. Je suis très peu tenté par cette montée supplémentaire, mais Isabelle est plus enthousiaste et en fin de compte, c’est le nouvel itinéraire que nous prenons. Nous suivons une piste forestière vers le nord, d'abord en légère descente, puis en légère montée, traversant une zone où des bûcherons coupent des arbres à côté du chemin, pendant qu’un tracteur équipé de pinces géantes enlève les troncs dénudés de leurs branches. L'odeur de bois fraîchement coupé et de sciure imprègne toute la forêt sur une assez grande distance.
Nous quittons la forêt en dessous du chalet d'Onne (1704 m), avec la crête rocheuse de la Pointe des Ombrieux au-dessus de nous à gauche. La montée devient plus raide et un peu plus loin, une surprise nous attend : alors que nous atteignons un replat, soudainement le lac Léman apparaît devant nous et en contrebas, au-delà de la mosaïque de champs qui recouvre le fond de la vallée du Rhône. Au-delà de l'eau bleue du lac, très loin, se trouvent des montagnes qui me sont familières de l’époque où j’habitais en Suisse romande : voilà les Rochers de Naye et la Dent de Jaman au-dessus de Montreux, ainsi que les falaises de la Tour d'Aï qui domine la station de ski de Leysin. Cette vue est complètement inattendue ; je ne m'attendais pas à voir le Léman avant le dernier jour de notre randonnée, et je ne suis pas sûr d'apprécier ce rappel prématuré que nous sommes presque à la fin.
S’orientant vers l'ouest, un chemin pierreux et raide monte vers la crête, passant sous un téléski, avant d'atteindre les Portes d'Onne (1911 m), dans une dépression de la crête qui relie la Pointe des Ombrieux à la Tour de Don. Nous nous trouvons pile sur la frontière française : il y a ici des panneaux de balisage français en plus des panneaux jaunes suisses, et des bornes frontalières sur la crête, avec un "S" pour Savoie d'un côté et un "V" pour Valais de l'autre. Je fais le tour d’une des bornes, histoire de dire que j'ai mis le pied en France. Vers l'ouest, le terrain descend abruptement vers la station de ski française de Châtel. Notre chemin reste cependant du côté suisse de la frontière, montant le long d'un téléski pour atteindre le petit sommet de la Tour de Don, à qui il manque un seul mètre pour pouvoir revendiquer le statut de "2000". C'est l'un des rares sommets atteints par le chemin national n° 6 : le dernier dont je me souvienne était le Piz Sezner, au-dessus du Val Lumnezia dans les Grisons.
La Tour de Don est un de ces sommets qui a deux visages très différents, selon le côté d'où on le voit. À l'ouest, des pentes herbeuses parsemées de bosquets de conifères descendent gentiment vers la frontière française. Le côté est, en revanche, est vertical, avec des falaises qui plongent de cent mètres vers la forêt en dessous. Quittant le sommet, nous suivons le sentier qui descend vers l'ouest, jusqu'à ce que nous trouvions un endroit agréablement ombragé pour manger. Nous y restons un bon moment après avoir fini notre pique-nique, allongés sur l'herbe pour la dernière sieste de nos vacances, un demi-sommeil délicieux sous la chaleur du début d'après-midi. De gros nuages noirs commencent à bourgeonner au nord, mais ils nous laissent tranquilles et le soleil continue à chauffer notre sieste.
Nous repartons après cette longue pause déjeuner, suivant un sentier qui longe la frontière. Derrière nous maintenant, les falaises de la Tour de Don sont impressionnantes, plongeant vers la vallée du Rhône. Nous poursuivons notre chemin le long d’une crête herbeuse vers le nord, avec les Dents du Midi qui font leur dernière apparition, loin derrière nous au sud maintenant. Devant, nous pouvons maintenant voir le seul massif qui nous sépare encore du lac Léman, avec les Cornettes de Bise et la Dent d’Oche. Le sentier descend vers la station d’arrivée d'un télésiège (1892 m), puis remonte brièvement jusqu’au sommet plat et herbeux de la Tête du Tronchey (1916 m). De là, une descente raide d’un peu plus de cent mètres nous amène au col de Croix, sur un sentier étroit encombré de racines d’arbres qui serpente le long d'une crête boisée étroite entre deux vallées. C'est le seul court passage de cette étape qui justifie la cotation T2, et c'est effectivement la seule partie qui est balisé rouge et blanc, plutôt que jaune.
Au col de Croix (1805 m), nous quittons la crête frontalière et descendons vers l'est sur une piste caillouteuse plutôt désagréable, pas difficile mais pas du tout sympathique pour les chevilles. Nous atteignons la vallée en contrebas à un endroit où des panneaux avertissent de ne pas s'arrêter, car il y a eu des chutes de pierres récentes. En levant les yeux, nous pouvons voir l'endroit où un pan de la falaise s'est détaché, laissant une cicatrice plus claire sur le flanc de la montagne, et plusieurs gros blocs sont descendus jusqu'à l'endroit où nous nous trouvons. Au chalet de Croix (1559 m), il serait possible de continuer simplement sur la même piste jusqu'à la station inférieure du télésiège au Plan de Croix, puis de suivre la route jusqu'à Torgon : ce serait l’option la plus rapide si l'on était pressé de prendre le bus à Torgon, par exemple. Le chemin n° 6 choisit un itinéraire nettement plus long, d'abord en balcon au-dessus de la vallée, puis en descente à travers une succession de bosquets et de pâturages jusqu'à Eusin (1399 m), où un paysan remplit les abreuvoirs de ses vaches avec de l'eau fraîche.
Depuis Eusin, où nous rejoignons l’itinéraire du chemin n° 6 qui était marqué sur ma carte, c'est une promenade agréable d'environ une demi-heure à travers les bois, jusqu'à ce que nous émergions au-dessus des premières maisons de Torgon. Le village est divisé en deux parties distinctes, séparées par la vallée encaissée du Torrent de l'Avançon. La partie la plus ancienne du village se trouve au nord du torrent, tandis que, du côté sud où nous sommes arrivés, le quartier des Fignards (1134 m) est beaucoup plus moderne, avec de grands immeubles de vacances, un camping, un centre sportif et le point de départ des remontées mécaniques du village. Un pont suspendu relie les deux parties du village, mais nous loupons le panneau qui l’indique et restons sur la route jusqu'à l'endroit où elle traverse le torrent, avant de revenir de l'autre côté. Il nous faut une éternité pour traverser Torgon jusqu’à notre hôtel, le village n’est pas bien grand mais très éparpillé.
Notre hôtel, situé dans la partie ancienne du village, est un vieille maison en bois qui a conservé son caractère rustique tout en offrant un très bon niveau de confort. Au check-in, je découvre que j’ai réservé deux fois par accident – sans doute une fausse manipulation informatique de ma part - mais la propriétaire ne nous facture qu'une seule chambre. Elle nous dit qu’elle voit passer beaucoup de randonneurs en été : presque chaque jour, elle a des clients qui font soit le chemin suisse n° 6 comme nous, soit le GR5 français, dont une variante passe par Torgon. Seulement hier, dit-elle, un randonneur suisse allemand qui faisait l’intégralité du chemin n° 6 a dormi ici. Je lui demande si par hasard cet Alémanique portait un T-shirt orange. En effet, c'était bien lui, le randonneur solitaire que nous avons vu pour la première fois à la cabane de Prafleuri il y a deux semaines, et pour la dernière fois prenant la bus à La Fouly, en se souciant de ses kritische Füsse. Pendant les trois étés que nous avons passés à faire le chemin n° 6, il est la seule personne que nous ayons rencontrée qui faisait tout le parcours en une seule fois : étant donné le début très tardif de l’été, il a dû connaître des conditions assez hivernales pendant les premières étapes de son épopée !
Le bar de l'hôtel propose une carte de bières belges comme je n'en ai jamais vu, même en Belgique : même la bière blonde de base – celle qui fait tant de bien après sept heures de marche sous une chaleur étouffante – est belge. C’est donc sans surprise que nous apprenons que la propriétaire, sympathique et bavarde, est flamande. Nous nous installons sous un grand tilleul dans le jardin de l'hôtel, profitant de la chaleur de la fin de l'après-midi et de la bière fraîche, tout en constatant que des nuages très noirs s'accumulent au sud : nous aurons encore droit à des orages ce soir. En effet, le temps de prendre notre douche et de descendre pour souper, le tonnerre gronde et des trombes d'eau s’abattent tout droit depuis le ciel, tellement à la verticale que la pluie ne passe pas à travers les portes et fenêtres ouvertes. Quelques villageois sont assis au bar, discutant avec la propriétaire, qui nous sert de délicieuses croûtes au fromage avec jambon et œuf. En randonnée, je bois habituellement de l’eau à table le soir, mais la carte des bières est vraiment trop tentante et c’est donc avec une Orval que je me régale de ce bon repas.
Une petite scène insolite se déroule pendant que nous mangeons. Au plus fort de l'orage, une grande voiture avec des plaques d'immatriculation américaines s'arrête devant l’hôtel, et un homme d'âge moyen entre, habillé d’un blazer élégant qui ne va pas du tout avec le cadre rustique. D'après ce que nous entendons de sa conversation avec la propriétaire (qui se déroule en anglais), il a réservé une chambre simple dont elle lui remet la clé. Il retourne à sa voiture sous la pluie trois fois. Les deux premières fois il revient avec de grosses valises ; la troisième fois, il ramène une femme blonde plutôt court vêtue, qui prend immédiatement la clé de la chambre et disparaît en direction de l'escalier. Cela provoque des ricanements et quelques blagues un peu limites chez les habitués du bar, qui s’inventent toutes sortes de scénarios sur le genre de matériel que pourraient contenir les valises surdimensionnées du couple. Une discussion animée commence entre l'homme et la propriétaire, qui lui fait remarquer qu'il n'a payé que pour une chambre simple, alors qu’elle vient de voir sa compagne lui passer devant le nez et de monter à l'étage. La dispute se poursuit, la propriétaire refusant de céder et le client faisant mine de ne pas comprendre. Ils sont encore en train de négocier dur quand nous décidons de monter nous coucher. Je ne peux m'empêcher de me demander si notre sommeil sera perturbé par des activités nocturnes dans l’une des chambres voisines, mais tout est calme et nous passons une bonne nuit.
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Il y a des signes qui ne trompent pas. Au cours d’une randonnée de plusieurs jours, quand on commence à faire des choses pour la dernière fois, c’est que la fin est proche. Ce matin à Morgins, nous achetons à manger pour les trois derniers midis, ce soir ce seront les dernières lessives. Il y a deux magasins d'alimentation dans le village, dont un qui s'appelle Intermarché mais dont le logo et tout le branding sont totalement différents de la chaîne française bien connue. Nous ne saurons pas s’il a quelque chose à voir avec cette chaîne, car nous faisons nos courses dans l'autre magasin, une de ces superettes Volg que l'on trouve un peu partout dans les villages de montagne suisses.
Cette étape est plus courte que les précédentes, et nous ne sommes pas vraiment pressés. Le temps de terminer nos courses et de dire au revoir à Morgins sans trop de regrets, il est 8h30 et il fait déjà chaud. Comme les deux jours précédents, la pluie nocturne s'est éloignée, laissant derrière elle un ciel bleu sans nuage, bien que l’air semble moins limpide ce matin, peut-être le signe précurseur d'un changement de temps à venir. Les prévisions de Météosuisse le confirment d’ailleurs : demain, il y a de grandes chances que nous nous fassions mouiller.
La sortie de Morgins (1304 m) est très raide et se fait sur une route goudronnée pendant la première heure et quart, au cours de laquelle nous montons de presque 400 mètres. Nous avançons lentement, en nous écartant assez souvent pour laisser passer des voitures sur la route étroite. En contrebas nous voyons le village avec ses immeubles de vacances dans le style faux chalet, derrière lesquels une vallée boisée remonte jusqu'à la ligne de crête qui marque la frontière française. Sur notre droite, les Dents du Midi et leurs sept sommets sont encore là (si on en croit le nom de la brasserie artisanale locale 7 Peaks, bien que vu d’ici, il semble y avoir au moins huit sommets).
Morgins ne m’a pas plu et je ne suis pas de très bonne humeur ce matin. Le début fastidieux de l’étape n’arrange pas les choses : il fait trop chaud, c’est trop raide, la route est trop dure sous mes pieds, il n'y a pas d'ombre : pendant quelques instants, je veux juste que cela se termine. Heureusement qu'il ne reste que deux étapes après celle-ci, car j’ai l’impression d’avoir heurté un mur à la fois mental et physique au bout de 15 jours de marche. Enfin, à environ 1690 mètres d'altitude, nous pouvons quitter la route pour un vrai sentier qui monte plus doucement à travers des pâturages jusqu'aux Portes du Culet (1788 m), un carrefour de plusieurs sentiers et routes d’alpage. De là, nous descendons jusqu'à Chalet Neuf (1692 m), où il y a un restaurant, un parking et une aire de jeux pour enfants. Nous faisons ici la première pause de la journée, assis à l'ombre d'un arbre pour boire de l'eau et manger un mélange de fruits secs et d’amandes.
A Chalet Neuf, un choix s'impose. Sur ma carte, le chemin n° 6 continue vers le nord, plus ou moins à la même altitude puis en descente jusqu'à Torgon, en forêt sous le flanc est du petit massif formé par la Pointe des Ombrieux, la Tour de Don et la Tête du Tronchey. Mais ma carte date de 2019 et le chemin suit désormais un autre itinéraire, plus long et plus haut, montant jusqu’au sommet de la Tour de Don avant de redescendre à Torgon. Je suis très peu tenté par cette montée supplémentaire, mais Isabelle est plus enthousiaste et en fin de compte, c’est le nouvel itinéraire que nous prenons. Nous suivons une piste forestière vers le nord, d'abord en légère descente, puis en légère montée, traversant une zone où des bûcherons coupent des arbres à côté du chemin, pendant qu’un tracteur équipé de pinces géantes enlève les troncs dénudés de leurs branches. L'odeur de bois fraîchement coupé et de sciure imprègne toute la forêt sur une assez grande distance.
Nous quittons la forêt en dessous du chalet d'Onne (1704 m), avec la crête rocheuse de la Pointe des Ombrieux au-dessus de nous à gauche. La montée devient plus raide et un peu plus loin, une surprise nous attend : alors que nous atteignons un replat, soudainement le lac Léman apparaît devant nous et en contrebas, au-delà de la mosaïque de champs qui recouvre le fond de la vallée du Rhône. Au-delà de l'eau bleue du lac, très loin, se trouvent des montagnes qui me sont familières de l’époque où j’habitais en Suisse romande : voilà les Rochers de Naye et la Dent de Jaman au-dessus de Montreux, ainsi que les falaises de la Tour d'Aï qui domine la station de ski de Leysin. Cette vue est complètement inattendue ; je ne m'attendais pas à voir le Léman avant le dernier jour de notre randonnée, et je ne suis pas sûr d'apprécier ce rappel prématuré que nous sommes presque à la fin.
S’orientant vers l'ouest, un chemin pierreux et raide monte vers la crête, passant sous un téléski, avant d'atteindre les Portes d'Onne (1911 m), dans une dépression de la crête qui relie la Pointe des Ombrieux à la Tour de Don. Nous nous trouvons pile sur la frontière française : il y a ici des panneaux de balisage français en plus des panneaux jaunes suisses, et des bornes frontalières sur la crête, avec un "S" pour Savoie d'un côté et un "V" pour Valais de l'autre. Je fais le tour d’une des bornes, histoire de dire que j'ai mis le pied en France. Vers l'ouest, le terrain descend abruptement vers la station de ski française de Châtel. Notre chemin reste cependant du côté suisse de la frontière, montant le long d'un téléski pour atteindre le petit sommet de la Tour de Don, à qui il manque un seul mètre pour pouvoir revendiquer le statut de "2000". C'est l'un des rares sommets atteints par le chemin national n° 6 : le dernier dont je me souvienne était le Piz Sezner, au-dessus du Val Lumnezia dans les Grisons.
La Tour de Don est un de ces sommets qui a deux visages très différents, selon le côté d'où on le voit. À l'ouest, des pentes herbeuses parsemées de bosquets de conifères descendent gentiment vers la frontière française. Le côté est, en revanche, est vertical, avec des falaises qui plongent de cent mètres vers la forêt en dessous. Quittant le sommet, nous suivons le sentier qui descend vers l'ouest, jusqu'à ce que nous trouvions un endroit agréablement ombragé pour manger. Nous y restons un bon moment après avoir fini notre pique-nique, allongés sur l'herbe pour la dernière sieste de nos vacances, un demi-sommeil délicieux sous la chaleur du début d'après-midi. De gros nuages noirs commencent à bourgeonner au nord, mais ils nous laissent tranquilles et le soleil continue à chauffer notre sieste.
Nous repartons après cette longue pause déjeuner, suivant un sentier qui longe la frontière. Derrière nous maintenant, les falaises de la Tour de Don sont impressionnantes, plongeant vers la vallée du Rhône. Nous poursuivons notre chemin le long d’une crête herbeuse vers le nord, avec les Dents du Midi qui font leur dernière apparition, loin derrière nous au sud maintenant. Devant, nous pouvons maintenant voir le seul massif qui nous sépare encore du lac Léman, avec les Cornettes de Bise et la Dent d’Oche. Le sentier descend vers la station d’arrivée d'un télésiège (1892 m), puis remonte brièvement jusqu’au sommet plat et herbeux de la Tête du Tronchey (1916 m). De là, une descente raide d’un peu plus de cent mètres nous amène au col de Croix, sur un sentier étroit encombré de racines d’arbres qui serpente le long d'une crête boisée étroite entre deux vallées. C'est le seul court passage de cette étape qui justifie la cotation T2, et c'est effectivement la seule partie qui est balisé rouge et blanc, plutôt que jaune.
Au col de Croix (1805 m), nous quittons la crête frontalière et descendons vers l'est sur une piste caillouteuse plutôt désagréable, pas difficile mais pas du tout sympathique pour les chevilles. Nous atteignons la vallée en contrebas à un endroit où des panneaux avertissent de ne pas s'arrêter, car il y a eu des chutes de pierres récentes. En levant les yeux, nous pouvons voir l'endroit où un pan de la falaise s'est détaché, laissant une cicatrice plus claire sur le flanc de la montagne, et plusieurs gros blocs sont descendus jusqu'à l'endroit où nous nous trouvons. Au chalet de Croix (1559 m), il serait possible de continuer simplement sur la même piste jusqu'à la station inférieure du télésiège au Plan de Croix, puis de suivre la route jusqu'à Torgon : ce serait l’option la plus rapide si l'on était pressé de prendre le bus à Torgon, par exemple. Le chemin n° 6 choisit un itinéraire nettement plus long, d'abord en balcon au-dessus de la vallée, puis en descente à travers une succession de bosquets et de pâturages jusqu'à Eusin (1399 m), où un paysan remplit les abreuvoirs de ses vaches avec de l'eau fraîche.
Depuis Eusin, où nous rejoignons l’itinéraire du chemin n° 6 qui était marqué sur ma carte, c'est une promenade agréable d'environ une demi-heure à travers les bois, jusqu'à ce que nous émergions au-dessus des premières maisons de Torgon. Le village est divisé en deux parties distinctes, séparées par la vallée encaissée du Torrent de l'Avançon. La partie la plus ancienne du village se trouve au nord du torrent, tandis que, du côté sud où nous sommes arrivés, le quartier des Fignards (1134 m) est beaucoup plus moderne, avec de grands immeubles de vacances, un camping, un centre sportif et le point de départ des remontées mécaniques du village. Un pont suspendu relie les deux parties du village, mais nous loupons le panneau qui l’indique et restons sur la route jusqu'à l'endroit où elle traverse le torrent, avant de revenir de l'autre côté. Il nous faut une éternité pour traverser Torgon jusqu’à notre hôtel, le village n’est pas bien grand mais très éparpillé.
Notre hôtel, situé dans la partie ancienne du village, est un vieille maison en bois qui a conservé son caractère rustique tout en offrant un très bon niveau de confort. Au check-in, je découvre que j’ai réservé deux fois par accident – sans doute une fausse manipulation informatique de ma part - mais la propriétaire ne nous facture qu'une seule chambre. Elle nous dit qu’elle voit passer beaucoup de randonneurs en été : presque chaque jour, elle a des clients qui font soit le chemin suisse n° 6 comme nous, soit le GR5 français, dont une variante passe par Torgon. Seulement hier, dit-elle, un randonneur suisse allemand qui faisait l’intégralité du chemin n° 6 a dormi ici. Je lui demande si par hasard cet Alémanique portait un T-shirt orange. En effet, c'était bien lui, le randonneur solitaire que nous avons vu pour la première fois à la cabane de Prafleuri il y a deux semaines, et pour la dernière fois prenant la bus à La Fouly, en se souciant de ses kritische Füsse. Pendant les trois étés que nous avons passés à faire le chemin n° 6, il est la seule personne que nous ayons rencontrée qui faisait tout le parcours en une seule fois : étant donné le début très tardif de l’été, il a dû connaître des conditions assez hivernales pendant les premières étapes de son épopée !
Le bar de l'hôtel propose une carte de bières belges comme je n'en ai jamais vu, même en Belgique : même la bière blonde de base – celle qui fait tant de bien après sept heures de marche sous une chaleur étouffante – est belge. C’est donc sans surprise que nous apprenons que la propriétaire, sympathique et bavarde, est flamande. Nous nous installons sous un grand tilleul dans le jardin de l'hôtel, profitant de la chaleur de la fin de l'après-midi et de la bière fraîche, tout en constatant que des nuages très noirs s'accumulent au sud : nous aurons encore droit à des orages ce soir. En effet, le temps de prendre notre douche et de descendre pour souper, le tonnerre gronde et des trombes d'eau s’abattent tout droit depuis le ciel, tellement à la verticale que la pluie ne passe pas à travers les portes et fenêtres ouvertes. Quelques villageois sont assis au bar, discutant avec la propriétaire, qui nous sert de délicieuses croûtes au fromage avec jambon et œuf. En randonnée, je bois habituellement de l’eau à table le soir, mais la carte des bières est vraiment trop tentante et c’est donc avec une Orval que je me régale de ce bon repas.
Une petite scène insolite se déroule pendant que nous mangeons. Au plus fort de l'orage, une grande voiture avec des plaques d'immatriculation américaines s'arrête devant l’hôtel, et un homme d'âge moyen entre, habillé d’un blazer élégant qui ne va pas du tout avec le cadre rustique. D'après ce que nous entendons de sa conversation avec la propriétaire (qui se déroule en anglais), il a réservé une chambre simple dont elle lui remet la clé. Il retourne à sa voiture sous la pluie trois fois. Les deux premières fois il revient avec de grosses valises ; la troisième fois, il ramène une femme blonde plutôt court vêtue, qui prend immédiatement la clé de la chambre et disparaît en direction de l'escalier. Cela provoque des ricanements et quelques blagues un peu limites chez les habitués du bar, qui s’inventent toutes sortes de scénarios sur le genre de matériel que pourraient contenir les valises surdimensionnées du couple. Une discussion animée commence entre l'homme et la propriétaire, qui lui fait remarquer qu'il n'a payé que pour une chambre simple, alors qu’elle vient de voir sa compagne lui passer devant le nez et de monter à l'étage. La dispute se poursuit, la propriétaire refusant de céder et le client faisant mine de ne pas comprendre. Ils sont encore en train de négocier dur quand nous décidons de monter nous coucher. Je ne peux m'empêcher de me demander si notre sommeil sera perturbé par des activités nocturnes dans l’une des chambres voisines, mais tout est calme et nous passons une bonne nuit.
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Tourengänger:
stephen
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