Chemin des cols alpins : Étape 27, d’Arolla à la cabane des Dix

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Début août 2023, une vague de froid inattendue nous a forcés à abandonner la deuxième partie de notre randonnée le long du chemin national No. 6 à Arolla. Un an plus tard, nous sommes de retour pour reprendre là où nous nous étions arrêtés. Devant nous, 17 jours de marche et, si tout va bien, une arrivée à Saint-Gingolph, sur les rives du lac Léman. Bien que les prévisions météorologiques soient bonnes pour les jours à venir, je me demande quelles conditions nous allons retrouver : l’été est arrivé tardivement cette année, et il y a seulement trois semaines, des pluies et laves torrentielles ont causé beaucoup de dégâts en Valais, provoquant la fermeture de nombreux sentiers.

Avant même de commencer, nous avons une frayeur. Le propriétaire de notre hôtel à Arolla nous demande où nous allons demain. Lorsque je lui dis que nous nous allons à la cabane des Dix, il me regarde dubitativement et dit : "Vous en êtes sûr ? Je pense qu’elle est fermée". Un coup de fil à la cabane nous rassure : elle a effectivement été fermée la semaine dernière à cause d’une grosse panne d’électricité, mais la livraison d’un générateur de secours a permis la réouverture. Nous pouvons donc profiter d’une bière fraîche dans le jardin de l’hôtel et d’un bon souper sans avoir à nous soucier de réorganiser notre programme dès le premier jour.

Nous commençons à 8h30 du matin, montant lentement à travers bois depuis notre hôtel jusqu'au centre du village, où nous achetons les pique-nique des trois premiers jours à l’épicerie : du pain, du fromage, du saucisson, des pommes et des pêches plates s’ajoutent au chocolat et aux fruits secs que nous avons apportés depuis la plaine. La matinée est déjà chaude : heureusement, la montée initiale au-dessus d’Arolla se fait dans la fraîcheur de la forêt, où des fleurs jaunes poussent à l’ombre des arbres. Au bout la vallée, le Mont Collon domine la vue avec sa forme facilement reconnaissable, un peu comme un Christmas pudding anglais, flanqué par les deux glaciers d’Arolla.

Nous faisons une première pause près des chalets semi-ruinés de la Remointse (2398 m), d’où il y a une belle vue sur les Dents de Vésivi et l’Aiguille de la Tsa pointue, puis continuons à monter à travers des pentes herbeuses, surpris de voir à quel point tout est resté vert par rapport aux deux étés précédents. Au-delà de l’arrivée du dernier téléski, juste avant que l’herbe ne cède la place à un paysage plus minéral, nous nous arrêtons pour le premier pique-nique de nos vacances, suivi d’une sieste de 20 minutes sous un soleil très chaud.

Nous montons ensuite à travers des pentes raides qui descendent vers l'est depuis la crête rocheuse au-dessus de nous. Le sentier monte d’abord vers le nord, puis revient vers le sud pour atteindre le col de Riedmatten, le premier des nombreux cols que nous franchirons dans les jours à venir, et l’un des plus élevés à 2918 mètres. Le col n’est qu’une brèche étroite entre des tours rocheuses : le peu de place qu’il y a est déjà occupé par d’autres randonneurs, faisant pour la plupart une pause bien méritée après être montés depuis l’autre côté du col.

Le versant ouest du col est effectivement très raide et nécessite l’usage des mains dans sa partie supérieure. Une chaîne fixée à la paroi rocheuse facilite ce qui serait autrement une descente très délicate. Je descends en marche arrière, utilisant la chaîne pour me pencher et repérer les meilleures prises pour mes pieds. Ce n’est pas vraiment difficile (même si à endroit, je demande à quelqu’un en dessous de moi de me dire où placer mon pied gauche), mais la pente presque verticale est impressionnante et pourrait intimider certains.

En dessous de ce passage, la descente se poursuit sur un sentier en lacets, dans des pentes de caillasse instable. Le terrain un peu plus facile nous permet maintenant de profiter de la vue sur le glacier de Cheilon en contrebas et sommets enneigés qui l’entourent. La cabane des Dix est visible sur un éperon rocheux de l’autre côté de la vallée : à vol d’oiseau elle n’est pas très loin, mais pour les randonneurs dépourvus d’ailes, il reste encore pas mal de descente et de montée pour y arriver. Nous nous arrêtons pour laisser passer un groupe de randonneurs asiatiques avec un guide qui viennent en sens inverse : le guide est en short et T-shirt mais malgré la chaleur de l’après-midi, ses clients sont tous vêtus de polaires, de parkas, de gants et même de masques. Pas surprenant qu’ils ont l’air de souffrir dans l’ascension raide, cela doit être très inconfortable pour eux avec tous ces vêtements chauds.

Le sentier devient plus facile et serpente vers le nord au-dessus du lac qui s'est formé sous la langue du glacier. Il descend en lacets raides jusqu’au niveau du lac, puis traverse une zone herbeuse où poussent des linaigrettes. Nous franchissons le torrent qui s’écoule du lac sur une passerelle qui a l’air toute neuve (2680 m). Ni la passerelle, ni le sentier indiqué par des marques circulaires de peinture rouge et blanche et l’inscription "DIX" sur un rocher ne figurent sur ma carte au 1 :50,000ème : même la carte Swisstopo en ligne ne les montre pas, l’itinéraire doit être tout récent.

Nous montons lentement sur un sentier raide et caillouteux qui gagne la crête de la moraine latérale du glacier à environ 2800 mètres, presque au point où le sentier venant de la cabane rejoint la moraine avant de la suivre vers le lac des Dix plus bas. Le reste de la montée jusqu’à la cabane est raide par endroits mais facile : le seul obstacle potentiel est un névé qui paraît très raide vu de loin, mais que nous remontons sans problème. De manière inattendue, lorsque la cabane apparaît enfin, elle est en dessous du point où nous nous trouvons, et l’étape se termine par une courte descente, avec des vues sur le Mont Blanc de Cheilon et la partie supérieure du glacier.

Située à 2928 mètres, la cabane des Dix n’est pas le refuge le plus haut du chemin No. 6 : la cabane des Becs de Bosson la bat d’une soixantaine de mètres. Compte tenu de l’altitude, c’est une cabane confortable, avec une terrasse ensoleillée surplombant un merveilleux paysage de roche et de glace. Des palettes en bois aménagées en chaises longues avec des coussins nvitent les randonneurs fatigués à se mettre à l’aise pour savourer une bière fraîche : l’utilisation de palettes comme mobilier de terrasse semble être la tendance de cet été, c’est quelque chose que nous verrons dans plusieurs des endroits où nous dormirons.

L’ambiance à la cabane est très internationale, c’est l’anglais qui domine autour des tables du réfectoire. Contrairement aux endroits où nous avons dormi les années précédentes, « faire le chemin No. 6 » ne semble pas être d’actualité ici : la plupart des gens avec qui nous parlons pendant le souper sont là soit pour faire de l’alpinisme, soit pour la randonnée Chamonix-Zermatt : personne ne semble aller dans la même direction que nous. Beaucoup vont passer le col de Riedmatten demain et semblent redouter ce passage, pourtant sans grande difficulté dans le sens ouest-est. Après le souper, une famille anglophone fait apparaître un violon comme par magie et, avec l’accompagnement du piano électronique qui se trouve dans un coin du réfectoire, jouent une série de danses qui pourraient être écossaises ou irlandaises. Dans le dortoir, nos places sont à l’étage supérieur des lits superposés : l’échelle pour y monter est minimaliste et mal fichu, et je sais déjà que ma visite habituelle aux toilettes à 3 heures du matin risque d’être semée d’embûches...

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