De la Maurienne à la Méditerranée, sur l'itinéraire de la Grande Traversée des Alpes : 2ème partie
J4, des Fonts de Cervières à Abriès : 723 m de montée, 1143 m de descente, 6 heures de marche
Je connais déjà cette quatrième étape, l'ayant fait en 2005 dans l'autre sens, au cours d'un tour du Queyras particulièrement pluvieuse, où nous avons trouvé la neige au col du Malrif en plein mois d'août. Pas de problèmes météorologiques cette fois-ci, c'est sous un ciel bleu que nous partons du refuge des Fonts de Cervières (2040 m). Il fait frais à l'ombre, mais certainement pas aussi frais que les 4 degrés indiqués par le thermomètre devant l'entrée du refuge. Il suffit de cinq minutes pour que nous nous trouvions au soleil, et tout de suite la chaleur se fait sentir.
La montée initiale se déroule sur un sentier qui sert accessoirement de lit à un petit torrent. Dans cet environnement humide et partiellement ombragé, il y a une variété de fleurs que nous ne verrons nulle part ailleurs pendant nos 15 jours de marche. La montée est douce, le long d'une vallée plutôt austère flanquée de pentes herbeuses raides. Après trois jours de marche nous avons trouvé un certain rythme et la montée se fait facilement : seuls les 200 derniers mètres avant le col sont plus raides. Mon sac ne me gène plus, si ce n'est aux endroits où il frotte sur des piqures d'insectes. J'ai ramassé une belle collection de piqûres de taons et de moustiques au cours des deux premiers jours, et elles se sont toutes mises à gratter en même temps !
Au col du petit Malrif (2830 m sur la carte, 2445 selon le panneau de balisage au col - c'est la carte qui a raison), un panorama magnifique s'ouvre vers le sud-est. Juste sous nos pieds, le lac du Grand Laus vers lequel nous descendrons pour pique-niquer. Au lointain, c'est le Mont Viso qui domine toutes les autres montagnes avec ses 3840 mètres, et qui nous accompagnera pendant les deux jours à venir. Nous trouvons un joli endroit pour manger au bord du lac (2570 m), où la première priorité est de tremper nos pieds fatigués dans l'eau fraîche. Nous ne sommes pas pressés aujourd'hui, le déjeuner est donc suivi d'une longue sieste au soleil, pendant que des VTTistes remontent laborieusement le sentier vers le col, portant leur vélo sur l'épaule.
La descente se poursuit par un sentier étroit à flanc de montagne, au-dessus de pentes herbeuses très raides par endroits. Le sentier est envahi par des milliers de sauterelles ou de criquets de différentes tailles et couleurs : il y en a des verts très vifs qui sautillent silencieusement ; des bruns beaucoup plus gros dont le mouvement est plus léthargique et dont la production sonore est plus intense ; et encore une troisième espèce qui, en s'envolant, semble se métamorphoser en petit papillon rouge. La chaleur devient oppressante et les rares passages à l'ombre sont les bienvenus.
Nous arrivons relativement tôt au village d'Abriès, dans la vallée du Guil à une altitude de 1550 mètres. L'étape a été magnifique de bout en bout malgré la chaleur. C'est dimanche, je me demande si nous allons trouver un magasin ouvert pour acheter les repas du midi pour demain et après-demain. Pas besoin de m'inquiéter : tous les commerces du village sont ouverts ; il y a deux superettes et même, sur la place principale, un petit marché vendant des produits régionaux (dont beaucoup venus de l'autre côté de la frontière toute proche). Nous achetons du saucisson italien, du pecorino aux grains de poivre, des salades de thon et encore des tomates, puis nous installons à la terrasse d'un café pour nous désaltérer (de la Chouffe, pas très queyrassine mais très bonne) et regarder passer la foule de randonneurs, de cyclistes et de vacanciers en tous genres.
Nous logeons dans un gîte d'étape un peu vieillot où il n'y a pas grand monde et où nous mangeons du poulet basquaise. On nous installe dans un dortoir de six lits où nous sommes tout seuls. La pièce est minuscule, je me demande comment ça doit être quand le dortoir est plein ! Les sept ou huit autres clients font des randonnées dans le massif du Queyras, nous ne reverrons aucun d'entre eux pendant les étapes suivantes.
J5, de l'Echalp à Chianale : 1292 m de montée, 1176 m de descente, 7 heures 30 de marche
Au gîte d'Abriès, les nappes en papier de la vieille n'ont pas été changées : nous mangeons donc notre petit déjeuner sur fond de taches de sauce basquaise, ce n'est pas très ragoûtant. Un petit transfert de dix minutes en taxi nous évite de marcher pendant 5 kilomètres le long de la route jusqu'à l'Echalp (1650 m), où cette étape débute pour de vrai. Ce sera une journée pleine de péripéties : patous, chemins fermés, fausses directions… à la fin de laquelle nous dormirons en Italie pour la seule fois de notre traversée.
La montée au col Vieux commence tout doucement en forêt. Au chalet de la Médille, dans une grande clairière, le mont Viso apparaît au fond d'une longue vallée, sous un ciel agrémenté par quelques nuages cirrus. Loin devant nous, nous entendons des chiens. En haut d'un petit raidillon, soudain, un gros patou blanc se tient au-dessus de nous, aboyant furieusement. Il est vite rejoint par deux autres patous, puis par quatre chiens de berger plus petits. Ne pas avoir peur, ils ne font que leur travail, ils vont juste s'assurer qu'on ne touche pas à leurs moutons. Et en effet, c'est ce qu'ils font. Les chiens nous encerclent de tout près - ils sont peut-être à un mètre de nous - puis ils nous escortent, bruyamment mais professionnellement, jusqu'à l'autre bout du grand troupeau de moutons qui se trouve dans un enclos juste au bord du sentier. Une fois passé le troupeau, les chiens se désintéressent complètement de nous. L'événement a été un peu crispant, mais nous sommes impressionnés par le travail de ces chiens.
Une série de replats et de raidillons nous fait monter au joli lac Egorgéou (2400 m), où un bon nombre de randonneurs font la pause. Nous n'avons vu personne sur le sentier depuis l'Echalp, tous ces gens ont dû venir dans l'autre sens, depuis le refuge Agnel ou les parkings qui se trouvent juste au-dessus de lui. Certains se baignent dans le lac, tout habillés ou presque nus, c'est selon. Les non-baigneurs encouragent les baigneurs. Une partie de la rive du lac est inaccessible en raison de la protection de plantes menacées. Un peu plus loin, une jeune randonneuse seule qui vient en sens inverse est complètement paniquée : elle hurle, crie, sautille, fait le moulin avec ses bras. Elle nous explique qu'elle a vu passer une guêpe… J'espère juste qu'elle n'a pas peur des patous, vu ce qui l'attend plus bas !
Nous continuons par le lac Foréant (2618 m), puis montons par un sentier caillouteux jusqu'au col Vieux (2806 m), où le vent souffle fort. Il y a beaucoup de monde sur cette partie du sentier : des familles surtout, montés voir les lacs en balade aller-retour. Nous trouvons un endroit à l'abri du vent un peu sous le col sur son versant nord, où nous mangeons une partie des victuailles achetées la veille à Abriès.
Du col Vieux au col Agnel, il y a théoriquement un sentier balcon qui évite de descendre puis de remonter. Hélas, celui-ci est fermé pour cause de "régénération du terrain". Tout le flanc de montagne est d'ailleurs interdit : les randonneurs - et il y en a des centaines sur ce tronçon - doivent suivre un sentier clôturé qui les canalise vers le parking situé quelque 200 mètres plus bas. On se bouscule sur ce sentier, nous manquons de nous faire renverser par un adolescent qui descend au pas de course. Plus tard, sur le parking, nous l'entendons se vanter auprès de son papa : "T'as vu comme j'ai shooté les deux vieux là-haut " ? Petit con.
Etant descendus plus bas que prévu, nous devons remonter au col Agnel par un sentier qui coupe les lacets de la route, entre motos et camping-cars. Cette section entre les cols Vieux et Agnel est la seule vraiment désagréable de la quinzaine. Le détour a rallongé l'étape de 45 minutes et a rajouté 200 mètres de montée et de descente.
Au col Agnel (2744 m, col routier international le plus élevé des Alpes), nous passons en Italie. Immédiatement, le balisage devient plus difficile à suivre et le sentier, qui coupe les lacets de la route comme son homologue français, devient raviné et malcommode. Nous nous trompons à un endroit où le balisage semblait indiquer qu'il fallait tourner à gauche, alors qu'en fait nous aurions dû continuer tout droit. Demi-tour, encore 20 minutes de perdues inutilement ! A travers champs, nous montons jusqu'à un vieux fort sur un promontoire rocheux, depuis lequel le village de Chianale apparaît soudainement, loin dessous. La brume va et vient dans la vallée, remontant presque jusqu'à nous avant de se retirer. Une descente raide finit de nous achever : c'est avec des pieds et des muscles qui crient au secours que nous arrivons enfin à Chianale.
Chianale est un beau petit village, avec des maisons plutôt basses alignées le long d'une unique rue centrale. L'auberge Laghi Blu où nous dormons se trouve juste à côté de l'église et du pont de pierre au centre du village. Alors que nous avions réservé en dortoir, la propriétaire nous installe dans une petite chambre à deux lits superposés : c'est le quatrième soir de suite où nous avons la chance de ne pas devoir partager la chambre. Le souper est - évidemment - italien : un petit fromage frais, des penne avec une sauce à base de pois, de la viande avec une polenta bien onctueuse… tout cela est très bon. J'ai mal partout mais ce n'est absolument pas grave.
J6, de Chianale à Maljasset : 891 m de montée, 764 m de descente, 6 heures 30 de marche
Cette sixième étape nous fera quitter le Queyras et le massif du Mont Viso pour la haute Ubaye. Après plusieurs étapes très longues, c'est aussi la première d'une série qui, sur papier au moins, ont l'air plus courtes et moins fatigantes. La propriétaire de l'auberge nous surprend en nous faisant la bise quand nous partons : nous entendons par la suite qu'elle embrasse tous ses clients au moment de dire au revoir.
Très lentement pour ménager nos jambes fatiguées, nous montons au Lago Blu, d'abord en forêt, puis par de jolis alpages avec une belle vue sur le Viso. Nous faisons une pause au lac (2591 m), où il y a un mélange de randonneurs et de pêcheurs, ainsi qu'un homme à l'air un peu sauvage qui promène un patou au bout d'une longue corde. Depuis le lac, nous atteignons rapidement le col du Longet (2660 m), où nous repassons la frontière française et entrons dans la vallée de l'Ubaye : la source de cette rivière se trouve d'ailleurs juste sous le col. Plusieurs lacs se succèdent sous un ciel devenu assez nuageux. La vallée est magnifique, sauvage, isolée : il y avait quelques autres personnes au col, mais nous nous retrouvons vite seuls au monde. Derrière nous, le Viso se laisse photographier une dernière fois avant de disparaître. Le calme a incité les marmottes à sortir : c'est l'étape où nous en verrons le plus. Nous mangeons et faisons une longue sieste, dos à un rocher à l'abri du vent. Plus bas, nous passons par une zone escarpée (Ravin de la Salcette) où, vu la nature du sol, il doit falloir constamment reconstruire le sentier pour éviter qu'il s'effondre dans le torrent. Plus bas encore, le Plan de Parouart (2060 m) est un replat extraordinaire où des arbres de grande taille semblent pousser directement dans le pierrier, leurs racines sans doute attirées par de l'eau quelque part juste sous la surface. L'étape se termine au hameau de Maljasset, où un taxi nous attend pour nous emmener à Fouillouse, évitant ainsi de marcher 10 kilomètres sur la route. C'est de la triche, certes, mais les randonneurs que nous doublons sur le goudron n'ont pas l'air de s'amuser.
Le gîte de Fouillouse occupe une longue maison ancienne, dont la cave voûtée est devenue la salle à manger. En terrasse, je découvre la bière "Sauvage" de la brasserie locale : elle accompagnera mes fins d'étape pendant plusieurs jours avant de faire place à la bière "Comté" du Mercantour. Au souper, nous faisons connaissance avec un couple de la région de Grenoble, partis de Saint-Gingolph quatre semaines auparavant, et que nous reverrons plusieurs fois. Un couple suisse, du canton de Fribourg, se trouve également au gîte et fait le même itinéraire. Dans notre dortoir, il y a un retraité de 70 ans qui, lui, a commencé à marcher à Luxembourg à la mi-mai et qui rejoint la Méditerranée tout doucement à son rythme. Nous commençons aussi à entendre parler d'autres personnages mythiques comme ce Belge parti de Rotterdam pour faire l'intégralité du GR5 avec un sac à dos pesant 30 kilos. Ces rencontres autour d'un souper, avec échange d'informations à propos des étapes et des autres marcheurs rencontrés en chemin, ponctuent nos soirées. Nous sommes cinq dans le dortoir ce soir-là : tous les 5 se retrouveront par hasard, plus d'une semaine plus tard, dans un autre hébergement. Il y a un vieux piano dans la salle à manger, sur lequel un randonneur joue un impromptu de Schubert, lorgnant sur une partition téléchargée sur son smartphone.
J7, de Fouillouse à Larche : 797 m de montée, 969 m de descente, 4 heures 45 de marche
C'est une petite étape de transition, la plus courte de la première semaine, qui nous amènera de l'Ubaye aux portes du parc national du Mercantour… c'est un peu la fin du nord et, déjà, le début du sud. Au petit déjeuner, nous nous trouvons à table avec plusieurs guides de haute montagne en vacances, qui se sont retrouvés là ensemble par hasard et qui se racontent des histoires de gardiens de refuge bougons, de crampons bricolés et de sommets atteints (ou pas). Plusieurs groupes semblent être venus là pour faire le tour du Chambeyron, un circuit qui, sur la carte, a l'air tout à fait attrayant.
Nous quittons Fouillouse (1900 m) sous les nuages : c'est la première matinée grise depuis le début. Depuis plusieurs jours, on annonce ce mardi comme étant le plus mauvais jour de notre première semaine, cela semble se confirmer. Pourtant, la pluie annoncée ne viendra pas. Nous remontons lentement le long d'une belle vallée, flanquée à gauche par l'Aiguille de Chambeyron (3321 m). Nous arrivons rapidement au col du Vallonnet (2524 m), devant un beau cirque de sommets déchiquetés.
Suivant le balisage, nous descendons un peu inutilement de 300 mètres, qu'il faut ensuite remonter, sur une piste désagréable, jusqu'au col de Mallemort (2558 m). Inutilement car, si j'avais bien regardé la carte, j'aurais vu qu'un sentier permet de relier les deux cols, presque sans perdre d'altitude et en évitant la piste. Sous le col, il y a encore des vestiges de vieux campements militaires, alors qu'un fort trône au sommet de la Tête de Viraysse au-dessus.
La descente sur Larche n'est pas très longue et il est tôt : nous nous accordons donc une longue pause midi quelque 300 mètres sous le col. Pendant que nous faisons la sieste le vent se lève et devient même tempétueux : nous sommes à l'abri mais nous l'entendons rugir et siffler dans les herbes longues au-dessus. De gros nuages arrivent depuis l'ouest et soudain, le risque de pluie - voire d'orage - est imminent. Nous remballons nos affaires et reprenons la descente, cherchant à perdre de l'altitude, contents lorsque le sentier s'enfonce dans un ravin abrité. Mais ni la pluie, ni l'orage ne se concrétisent et c'est sous un ciel redevenu bleu que nous arrivons au petit village de Larche (1670 m).
Village frontière, Larche a été détruit pendant la seconde guerre mondiale et a été reconstruit dans un style dépourvu de charme, sans référence à l'architecture traditionnelle de la région : cela me rappelle certains villages normands qui ont subi le même sort et la même reconstruction. Il y a une épicerie, mais elle n'ouvre qu'à 17 heures : nous profitons donc du jardin du gîte en attendant de pouvoir faire les courses. Les dortoirs sont petits et il y a beaucoup de monde : le gardien demande aux gens de laisser leurs sacs à dos en bas mais certains les montent quand même dans le dortoir, où ils encombrent tout l'espace au sol… trébuchements et jurons garantis lors des sorties nocturnes ! Nous retrouvons les trois Hollandais que nous avons vus au refuge du Thabor, le premier soir, et que nous reverrons par la suite à Sospel, le dernier soir. L'épicerie, quand elle ouvre, est minuscule, mais il y a tout ce qu'il faut : fromage, fruits, tomates. Au souper, on commence à reconnaître des têtes familières : nous avançons tous plus ou moins au même rythme. Demain le beau temps sera de retour et nous passerons le Pas de la Cavale, probablement le col le plus ardu de la quinzaine.
Troisième partie
Première partie
Je connais déjà cette quatrième étape, l'ayant fait en 2005 dans l'autre sens, au cours d'un tour du Queyras particulièrement pluvieuse, où nous avons trouvé la neige au col du Malrif en plein mois d'août. Pas de problèmes météorologiques cette fois-ci, c'est sous un ciel bleu que nous partons du refuge des Fonts de Cervières (2040 m). Il fait frais à l'ombre, mais certainement pas aussi frais que les 4 degrés indiqués par le thermomètre devant l'entrée du refuge. Il suffit de cinq minutes pour que nous nous trouvions au soleil, et tout de suite la chaleur se fait sentir.
La montée initiale se déroule sur un sentier qui sert accessoirement de lit à un petit torrent. Dans cet environnement humide et partiellement ombragé, il y a une variété de fleurs que nous ne verrons nulle part ailleurs pendant nos 15 jours de marche. La montée est douce, le long d'une vallée plutôt austère flanquée de pentes herbeuses raides. Après trois jours de marche nous avons trouvé un certain rythme et la montée se fait facilement : seuls les 200 derniers mètres avant le col sont plus raides. Mon sac ne me gène plus, si ce n'est aux endroits où il frotte sur des piqures d'insectes. J'ai ramassé une belle collection de piqûres de taons et de moustiques au cours des deux premiers jours, et elles se sont toutes mises à gratter en même temps !
Au col du petit Malrif (2830 m sur la carte, 2445 selon le panneau de balisage au col - c'est la carte qui a raison), un panorama magnifique s'ouvre vers le sud-est. Juste sous nos pieds, le lac du Grand Laus vers lequel nous descendrons pour pique-niquer. Au lointain, c'est le Mont Viso qui domine toutes les autres montagnes avec ses 3840 mètres, et qui nous accompagnera pendant les deux jours à venir. Nous trouvons un joli endroit pour manger au bord du lac (2570 m), où la première priorité est de tremper nos pieds fatigués dans l'eau fraîche. Nous ne sommes pas pressés aujourd'hui, le déjeuner est donc suivi d'une longue sieste au soleil, pendant que des VTTistes remontent laborieusement le sentier vers le col, portant leur vélo sur l'épaule.
La descente se poursuit par un sentier étroit à flanc de montagne, au-dessus de pentes herbeuses très raides par endroits. Le sentier est envahi par des milliers de sauterelles ou de criquets de différentes tailles et couleurs : il y en a des verts très vifs qui sautillent silencieusement ; des bruns beaucoup plus gros dont le mouvement est plus léthargique et dont la production sonore est plus intense ; et encore une troisième espèce qui, en s'envolant, semble se métamorphoser en petit papillon rouge. La chaleur devient oppressante et les rares passages à l'ombre sont les bienvenus.
Nous arrivons relativement tôt au village d'Abriès, dans la vallée du Guil à une altitude de 1550 mètres. L'étape a été magnifique de bout en bout malgré la chaleur. C'est dimanche, je me demande si nous allons trouver un magasin ouvert pour acheter les repas du midi pour demain et après-demain. Pas besoin de m'inquiéter : tous les commerces du village sont ouverts ; il y a deux superettes et même, sur la place principale, un petit marché vendant des produits régionaux (dont beaucoup venus de l'autre côté de la frontière toute proche). Nous achetons du saucisson italien, du pecorino aux grains de poivre, des salades de thon et encore des tomates, puis nous installons à la terrasse d'un café pour nous désaltérer (de la Chouffe, pas très queyrassine mais très bonne) et regarder passer la foule de randonneurs, de cyclistes et de vacanciers en tous genres.
Nous logeons dans un gîte d'étape un peu vieillot où il n'y a pas grand monde et où nous mangeons du poulet basquaise. On nous installe dans un dortoir de six lits où nous sommes tout seuls. La pièce est minuscule, je me demande comment ça doit être quand le dortoir est plein ! Les sept ou huit autres clients font des randonnées dans le massif du Queyras, nous ne reverrons aucun d'entre eux pendant les étapes suivantes.
J5, de l'Echalp à Chianale : 1292 m de montée, 1176 m de descente, 7 heures 30 de marche
Au gîte d'Abriès, les nappes en papier de la vieille n'ont pas été changées : nous mangeons donc notre petit déjeuner sur fond de taches de sauce basquaise, ce n'est pas très ragoûtant. Un petit transfert de dix minutes en taxi nous évite de marcher pendant 5 kilomètres le long de la route jusqu'à l'Echalp (1650 m), où cette étape débute pour de vrai. Ce sera une journée pleine de péripéties : patous, chemins fermés, fausses directions… à la fin de laquelle nous dormirons en Italie pour la seule fois de notre traversée.
La montée au col Vieux commence tout doucement en forêt. Au chalet de la Médille, dans une grande clairière, le mont Viso apparaît au fond d'une longue vallée, sous un ciel agrémenté par quelques nuages cirrus. Loin devant nous, nous entendons des chiens. En haut d'un petit raidillon, soudain, un gros patou blanc se tient au-dessus de nous, aboyant furieusement. Il est vite rejoint par deux autres patous, puis par quatre chiens de berger plus petits. Ne pas avoir peur, ils ne font que leur travail, ils vont juste s'assurer qu'on ne touche pas à leurs moutons. Et en effet, c'est ce qu'ils font. Les chiens nous encerclent de tout près - ils sont peut-être à un mètre de nous - puis ils nous escortent, bruyamment mais professionnellement, jusqu'à l'autre bout du grand troupeau de moutons qui se trouve dans un enclos juste au bord du sentier. Une fois passé le troupeau, les chiens se désintéressent complètement de nous. L'événement a été un peu crispant, mais nous sommes impressionnés par le travail de ces chiens.
Une série de replats et de raidillons nous fait monter au joli lac Egorgéou (2400 m), où un bon nombre de randonneurs font la pause. Nous n'avons vu personne sur le sentier depuis l'Echalp, tous ces gens ont dû venir dans l'autre sens, depuis le refuge Agnel ou les parkings qui se trouvent juste au-dessus de lui. Certains se baignent dans le lac, tout habillés ou presque nus, c'est selon. Les non-baigneurs encouragent les baigneurs. Une partie de la rive du lac est inaccessible en raison de la protection de plantes menacées. Un peu plus loin, une jeune randonneuse seule qui vient en sens inverse est complètement paniquée : elle hurle, crie, sautille, fait le moulin avec ses bras. Elle nous explique qu'elle a vu passer une guêpe… J'espère juste qu'elle n'a pas peur des patous, vu ce qui l'attend plus bas !
Nous continuons par le lac Foréant (2618 m), puis montons par un sentier caillouteux jusqu'au col Vieux (2806 m), où le vent souffle fort. Il y a beaucoup de monde sur cette partie du sentier : des familles surtout, montés voir les lacs en balade aller-retour. Nous trouvons un endroit à l'abri du vent un peu sous le col sur son versant nord, où nous mangeons une partie des victuailles achetées la veille à Abriès.
Du col Vieux au col Agnel, il y a théoriquement un sentier balcon qui évite de descendre puis de remonter. Hélas, celui-ci est fermé pour cause de "régénération du terrain". Tout le flanc de montagne est d'ailleurs interdit : les randonneurs - et il y en a des centaines sur ce tronçon - doivent suivre un sentier clôturé qui les canalise vers le parking situé quelque 200 mètres plus bas. On se bouscule sur ce sentier, nous manquons de nous faire renverser par un adolescent qui descend au pas de course. Plus tard, sur le parking, nous l'entendons se vanter auprès de son papa : "T'as vu comme j'ai shooté les deux vieux là-haut " ? Petit con.
Etant descendus plus bas que prévu, nous devons remonter au col Agnel par un sentier qui coupe les lacets de la route, entre motos et camping-cars. Cette section entre les cols Vieux et Agnel est la seule vraiment désagréable de la quinzaine. Le détour a rallongé l'étape de 45 minutes et a rajouté 200 mètres de montée et de descente.
Au col Agnel (2744 m, col routier international le plus élevé des Alpes), nous passons en Italie. Immédiatement, le balisage devient plus difficile à suivre et le sentier, qui coupe les lacets de la route comme son homologue français, devient raviné et malcommode. Nous nous trompons à un endroit où le balisage semblait indiquer qu'il fallait tourner à gauche, alors qu'en fait nous aurions dû continuer tout droit. Demi-tour, encore 20 minutes de perdues inutilement ! A travers champs, nous montons jusqu'à un vieux fort sur un promontoire rocheux, depuis lequel le village de Chianale apparaît soudainement, loin dessous. La brume va et vient dans la vallée, remontant presque jusqu'à nous avant de se retirer. Une descente raide finit de nous achever : c'est avec des pieds et des muscles qui crient au secours que nous arrivons enfin à Chianale.
Chianale est un beau petit village, avec des maisons plutôt basses alignées le long d'une unique rue centrale. L'auberge Laghi Blu où nous dormons se trouve juste à côté de l'église et du pont de pierre au centre du village. Alors que nous avions réservé en dortoir, la propriétaire nous installe dans une petite chambre à deux lits superposés : c'est le quatrième soir de suite où nous avons la chance de ne pas devoir partager la chambre. Le souper est - évidemment - italien : un petit fromage frais, des penne avec une sauce à base de pois, de la viande avec une polenta bien onctueuse… tout cela est très bon. J'ai mal partout mais ce n'est absolument pas grave.
J6, de Chianale à Maljasset : 891 m de montée, 764 m de descente, 6 heures 30 de marche
Cette sixième étape nous fera quitter le Queyras et le massif du Mont Viso pour la haute Ubaye. Après plusieurs étapes très longues, c'est aussi la première d'une série qui, sur papier au moins, ont l'air plus courtes et moins fatigantes. La propriétaire de l'auberge nous surprend en nous faisant la bise quand nous partons : nous entendons par la suite qu'elle embrasse tous ses clients au moment de dire au revoir.
Très lentement pour ménager nos jambes fatiguées, nous montons au Lago Blu, d'abord en forêt, puis par de jolis alpages avec une belle vue sur le Viso. Nous faisons une pause au lac (2591 m), où il y a un mélange de randonneurs et de pêcheurs, ainsi qu'un homme à l'air un peu sauvage qui promène un patou au bout d'une longue corde. Depuis le lac, nous atteignons rapidement le col du Longet (2660 m), où nous repassons la frontière française et entrons dans la vallée de l'Ubaye : la source de cette rivière se trouve d'ailleurs juste sous le col. Plusieurs lacs se succèdent sous un ciel devenu assez nuageux. La vallée est magnifique, sauvage, isolée : il y avait quelques autres personnes au col, mais nous nous retrouvons vite seuls au monde. Derrière nous, le Viso se laisse photographier une dernière fois avant de disparaître. Le calme a incité les marmottes à sortir : c'est l'étape où nous en verrons le plus. Nous mangeons et faisons une longue sieste, dos à un rocher à l'abri du vent. Plus bas, nous passons par une zone escarpée (Ravin de la Salcette) où, vu la nature du sol, il doit falloir constamment reconstruire le sentier pour éviter qu'il s'effondre dans le torrent. Plus bas encore, le Plan de Parouart (2060 m) est un replat extraordinaire où des arbres de grande taille semblent pousser directement dans le pierrier, leurs racines sans doute attirées par de l'eau quelque part juste sous la surface. L'étape se termine au hameau de Maljasset, où un taxi nous attend pour nous emmener à Fouillouse, évitant ainsi de marcher 10 kilomètres sur la route. C'est de la triche, certes, mais les randonneurs que nous doublons sur le goudron n'ont pas l'air de s'amuser.
Le gîte de Fouillouse occupe une longue maison ancienne, dont la cave voûtée est devenue la salle à manger. En terrasse, je découvre la bière "Sauvage" de la brasserie locale : elle accompagnera mes fins d'étape pendant plusieurs jours avant de faire place à la bière "Comté" du Mercantour. Au souper, nous faisons connaissance avec un couple de la région de Grenoble, partis de Saint-Gingolph quatre semaines auparavant, et que nous reverrons plusieurs fois. Un couple suisse, du canton de Fribourg, se trouve également au gîte et fait le même itinéraire. Dans notre dortoir, il y a un retraité de 70 ans qui, lui, a commencé à marcher à Luxembourg à la mi-mai et qui rejoint la Méditerranée tout doucement à son rythme. Nous commençons aussi à entendre parler d'autres personnages mythiques comme ce Belge parti de Rotterdam pour faire l'intégralité du GR5 avec un sac à dos pesant 30 kilos. Ces rencontres autour d'un souper, avec échange d'informations à propos des étapes et des autres marcheurs rencontrés en chemin, ponctuent nos soirées. Nous sommes cinq dans le dortoir ce soir-là : tous les 5 se retrouveront par hasard, plus d'une semaine plus tard, dans un autre hébergement. Il y a un vieux piano dans la salle à manger, sur lequel un randonneur joue un impromptu de Schubert, lorgnant sur une partition téléchargée sur son smartphone.
J7, de Fouillouse à Larche : 797 m de montée, 969 m de descente, 4 heures 45 de marche
C'est une petite étape de transition, la plus courte de la première semaine, qui nous amènera de l'Ubaye aux portes du parc national du Mercantour… c'est un peu la fin du nord et, déjà, le début du sud. Au petit déjeuner, nous nous trouvons à table avec plusieurs guides de haute montagne en vacances, qui se sont retrouvés là ensemble par hasard et qui se racontent des histoires de gardiens de refuge bougons, de crampons bricolés et de sommets atteints (ou pas). Plusieurs groupes semblent être venus là pour faire le tour du Chambeyron, un circuit qui, sur la carte, a l'air tout à fait attrayant.
Nous quittons Fouillouse (1900 m) sous les nuages : c'est la première matinée grise depuis le début. Depuis plusieurs jours, on annonce ce mardi comme étant le plus mauvais jour de notre première semaine, cela semble se confirmer. Pourtant, la pluie annoncée ne viendra pas. Nous remontons lentement le long d'une belle vallée, flanquée à gauche par l'Aiguille de Chambeyron (3321 m). Nous arrivons rapidement au col du Vallonnet (2524 m), devant un beau cirque de sommets déchiquetés.
Suivant le balisage, nous descendons un peu inutilement de 300 mètres, qu'il faut ensuite remonter, sur une piste désagréable, jusqu'au col de Mallemort (2558 m). Inutilement car, si j'avais bien regardé la carte, j'aurais vu qu'un sentier permet de relier les deux cols, presque sans perdre d'altitude et en évitant la piste. Sous le col, il y a encore des vestiges de vieux campements militaires, alors qu'un fort trône au sommet de la Tête de Viraysse au-dessus.
La descente sur Larche n'est pas très longue et il est tôt : nous nous accordons donc une longue pause midi quelque 300 mètres sous le col. Pendant que nous faisons la sieste le vent se lève et devient même tempétueux : nous sommes à l'abri mais nous l'entendons rugir et siffler dans les herbes longues au-dessus. De gros nuages arrivent depuis l'ouest et soudain, le risque de pluie - voire d'orage - est imminent. Nous remballons nos affaires et reprenons la descente, cherchant à perdre de l'altitude, contents lorsque le sentier s'enfonce dans un ravin abrité. Mais ni la pluie, ni l'orage ne se concrétisent et c'est sous un ciel redevenu bleu que nous arrivons au petit village de Larche (1670 m).
Village frontière, Larche a été détruit pendant la seconde guerre mondiale et a été reconstruit dans un style dépourvu de charme, sans référence à l'architecture traditionnelle de la région : cela me rappelle certains villages normands qui ont subi le même sort et la même reconstruction. Il y a une épicerie, mais elle n'ouvre qu'à 17 heures : nous profitons donc du jardin du gîte en attendant de pouvoir faire les courses. Les dortoirs sont petits et il y a beaucoup de monde : le gardien demande aux gens de laisser leurs sacs à dos en bas mais certains les montent quand même dans le dortoir, où ils encombrent tout l'espace au sol… trébuchements et jurons garantis lors des sorties nocturnes ! Nous retrouvons les trois Hollandais que nous avons vus au refuge du Thabor, le premier soir, et que nous reverrons par la suite à Sospel, le dernier soir. L'épicerie, quand elle ouvre, est minuscule, mais il y a tout ce qu'il faut : fromage, fruits, tomates. Au souper, on commence à reconnaître des têtes familières : nous avançons tous plus ou moins au même rythme. Demain le beau temps sera de retour et nous passerons le Pas de la Cavale, probablement le col le plus ardu de la quinzaine.
Troisième partie
Première partie
Tourengänger:
stephen
Communities: Randonneur
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